TGI Paris, 3 octobre 2019
La marque vente-privee.com vient de connaître un nouvel assaut judiciaire aboutissant au prononcé de la nullité de la marque semi-figurative sur le terrain de la fraude.
Nouvelle avancée dans l’affaire opposant Vente-privee.com à Showroomprive.com concernant la validité de la marque Vente-privee.com. On se souvient que ce conflit avait conduit la Cour de cassation à se prononcer le 6 décembre 2016 pour admettre la validité de la marque verbale Vente-privee.com estimant que celle-ci avait acquis par l’usage un caractère distinctif au regard des services de promotion des ventes pour le compte des tiers et de présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail ainsi que des services de regroupement pour le compte de tiers de produits et de services, notamment sur un site web marchand.
La société Showroomprive.com a mené un nouvel assaut judiciaire ciblant cette fois la marque semi-figurative Vente-privee.com se présentant sous forme d’une dénomination en lettres minuscules noir et du dessin d’un papillon rose au bout de la ligne.
Le tribunal va, dans un premier temps, reconnaître la validité de la marque puis, dans un second temps, annuler cette marque dont il juge que le dépôt est frauduleux.
- Sur le caractère distinctif du signe :
Selon l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle :
« Le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés.
Sont dépourvus de caractère distinctif :
a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;
b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;
c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage. »
Selon les juges, le signe dont l’élément verbal apparaît dominant et sera lu par le consommateur moyen comme si le terme « privee » comportait un accent (« privée »), constitue la désignation usuelle du service consistant à proposer à la vente, lors d’événements d’une durée limitée et à un public restreint, des produits de marques en nombre limité et à très bas prix, issus d’opérations de déstockage. Toutefois, toujours selon les juges, en dépit de l’absence de caractère distinctif ab initio, ce signe a pu acquérir un tel caractère par l’usage qui en a été fait. Le jugement retient, en particulier, la position de leader sur le secteur des ventes événementielles, l’intensivité de l’usage (compensant la brève durée puisque la marque en cause a été déposée en 2013), un sondage plaçant la marque au rang de la 5ème marque la plus connue de l’e-commerce, les multiples revues de presse établissant les efforts pour faire connaître la marque.
La marque, dont le caractère distinctif acquis par l’usage est reconnu, va néanmoins être invalidée sur le terrain de la fraude. Cette notion est expressément visée par le Code de la propriété intellectuelle en son article L.712-6 qui permet à la victime de la fraude d’exercer une action en revendication. Le droit commun trouve également à s’appliquer en la matière et l’application de l’adage « fraus omnia corrumpit » peut conduire à annuler un dépôt de marque frauduleux, c’est ce fondement qui était en l’espèce visé. Selon le jugement, l’expression « vente privée » a toujours désigné des ventes événementielles, à un public d’invités, de déstockage des invendus, la société Vente-privee.com a adapté ce modèle à la vente en ligne mais « pour autant, elle ne saurait s’approprier des termes génériques qui doivent rester disponibles pour tous les acteurs économiques de ce secteur et n’a aucune légitimité à monopoliser à son seul profit les termes “vente-privee”, extrêmement proches de “vente privée”, à titre de marque et à priver ses concurrents de l’usage de ces mots sauf à introduire une distorsion dans les règles de libre concurrence ». Également, les juges caractérisent l’intention frauduleuse du fait de la connaissance du caractère générique et des intentions d’appropriation de ce terme en dépit de ce caractère sur la base de déclarations faites par son dirigeant.
On imagine que ce jugement est le premier temps d’un long parcours judiciaire et que la cour d’appel aura prochainement à se prononcer sur la position adoptée par les juges de première instance relativement à l’existence, ou non, d’un dépôt frauduleux.
A rapprocher : Articles L.711-2, L.714-3 et L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle ; Cass. com., 6 décembre 2016, n°15-19.048