Articles L.111-1 et 112-1 du Code de propriété intellectuelle
La vente aux enchères d’une sculpture invisible et la poursuite annoncée de son auteur pour contrefaçon pose la question de la protection des œuvres invisibles en droit d’auteur et plus généralement de la protection des performances d’art contemporain.
L’histoire de l’art contemporain se nourrit de ses provocations afin de générer une attraction chez les amateurs et ainsi engendrer une valeur marchande.
La dernière de ces provocations n’est pas commune et aurait pu rester cantonnée au cercle restreint des amateurs d’art contemporain si elle n’avait pas déclenché une éventuelle bataille juridique fondée sur le droit d’auteur.
Après la vente aux enchères remarquée de son œuvre invisible pour un montant de 15.000 euros le 18 mai dernier, l’artiste contemporain italien Salvatore Garau a une nouvelle fois marqué l’actualité.
Un sculpteur américain, Tom Miller, accuse le plasticien italien de plagiat pour son œuvre « Io sono » considérant que cette œuvre constitue une contrefaçon de sa sculpture invisible « Nothing » exposée en 2016 à Gainesville (Etats-Unis).
En l’espèce, l’œuvre de Salvatore Garau intitulée « Io Sono » (« Je suis ») est une œuvre invisible accompagnée de la description suivante : « sculpture immatérielle à installer dans une habitation privée, dans un espace libre de tout encombrement ». De dimensions de 1,5m sur 1,5m, l’œuvre est accompagnée de consignes précises : cette dernière doit être placée au centre d’une pièce vide, un ruban délimitant son contour. Lors de sa vente aux enchères, la sculpture invisible était accompagnée d’un certificat d’authenticité signé de son auteur.
C’est dans ce contexte qu’un artiste américain a annoncé son intention de poursuivre son homologue italien pour plagiat. L’élaboration de l’œuvre de Tom Miller avait fait l’objet d’un court documentaire fictif, lequel présentant la construction de la sculpture invisible par des constructeurs mimant l’installation de blocs d’air.
Cette actualité soulève alors la question intéressante de la protection des performances d’art contemporain et a fortiori des œuvres invisibles.
L’article L.112-1 du Code de propriété intellectuelle prévoit que les œuvres sont protégées pourvu qu’elles soient de forme originale, et indifféremment de leur genre, de leur forme d’expression, de leur mérite ou de leur destination. Les droits d’un auteur sur l’œuvre de l’esprit naissant du seul fait de sa création conformément à l’article L.111-1 de ce même code.
La protection des œuvres invisibles en droit d’auteur se heurte à plusieurs limites.
D’une part, il doit être souligné que l’artiste américain met principalement en avant l’antériorité de son idée. Cette idée étant en l’espèce celle de représenter le vide par un objet invisible et insaisissable.
Or, les idées sont par nature de libre parcours et ne peuvent faire l’objet d’un monopole. En droit d’auteur, l’impossibilité de s’approprier une idée s’analyse comme un moyen de permettre de disposer d’un patrimoine commun permettant à chacun d’exprimer librement sa liberté de création.
D’autre part, le droit d’auteur est conditionné à l’exigence d’une forme d’expression. Or, en matière d’œuvre invisible, la forme d’expression est par nature difficile à appréhender. Si l’auteur de « Io Sono » revendiquait avoir vendu aux enchères un ‘vide’, la forme d’expression de son œuvre peut résider dans la description écrite et le mode opératoire d’exposition l’accompagnant.
Face à ces nombreuses interrogations, la protection du droit d’auteur apparait discutable tant en l’absence de matérialité des œuvres qu’au regard de l’impossibilité de s’opposer à la reproduction d’une idée.
Dans ce contexte, on peut imaginer que cette annonce d’un contentieux imminent est une performance elle-même, tendant pour l’artiste américain à obtenir, comme son homologue italien, une valorisation de sa création.
Cette actualité invite à se questionner sur l’opportunité d’adapter notre droit aux nouvelles pratiques artistiques, permettant aux auteurs d’être protégés mais aussi de pouvoir librement s’inspirer de leurs pairs, équilibre difficile à trouver pour garantir l’intérêt supérieur de l’Art, mais aussi l’intérêt particulier des artistes.
Nous ne manquerons pas suivre cette affaire pour en connaître l’issue juridique au regard du droit d’auteur.
A rapprocher : Salvatore Garau, Notes et références, Wikipédia ; L’artiste qui a vendu une sculpture inexistante accusé de plagiat, Le Point ; Plagiat d’œuvre invisible : une œuvre inexistante est-elle protégée ?, France Culture