Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet le 9 juillet 2019, T.A. n°310
L’Assemblée nationale a voté, le 9 juillet 2019, la proposition de loi de Laetitia Avia pour lutter contre les contenus haineux sur internet.
La proposition a par la suite été notifiée à la Commission européenne, le 21 août, comme il convient de le faire lorsqu’un État membre entend réguler le secteur des nouvelles technologies. Cette notification a ouvert une période de statu quo de trois mois au cours duquel le processus législatif interne est suspendu.
Sur le fond, cette proposition contraint les plateformes et les moteurs de recherche à retirer les contenus manifestement illicites sous 24 heures, sous peine d’être condamnés à des amendes allant jusqu’à 1,25 millions d’euros. Le texte prévoit également des mécanismes de contrôle des nouvelles prérogatives accordées aux plateformes et moteurs de recherche, en imposant une transparence sur les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus, ainsi qu’une coopération renforcée avec la justice.
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- Suspension de la procédure d’adoption de la proposition de loi Avia
La proposition de loi de Laetitia Avia pour lutter contre les contenus haineux sur internet a été adoptée par l’Assemblée nationale le 9 juillet 2019. Cependant, elle n’a pas encore été soumise au vote su Sénat. En effet, en vertu de la Directive (UE) 2015/1535, les Etats membres sont tenus de notifier à la Commission européenne, leurs projets et propositions de loi concernant les produits et les services de la société de l’information.
Le 21 août 2019, l’Etat français s’est donc conformé à cette obligation et a notifié la proposition de loi à la Commission européenne.
A partir de la date de notification de la proposition de loi, une période de statu quo de trois mois a débuté. Durant cette période, l’Etat membre ne peut adopter la règle technique en question.
Une procédure d’urgence est prévue par la Directive, afin de permettre l’adoption immédiate d’un projet de loi, mais la Commission européenne a rejeté la demande de la France visant à la mettre en œuvre. La Commission a en effet considéré que les conditions d’urgence, à savoir l’existence d’« une situation grave et imprévisible qui a trait à la protection de la santé publique ou à la sécurité, à la protection des animaux ou à la protection des végétaux » n’étaient pas réunies.
Il convient de noter que cette période de statu quo supplémentaire pourrait d’ailleurs être étendue de trois mois supplémentaires s’il apparaissait que le texte notifié était susceptible de créer des obstacles à la libre circulation des marchandises ou à la libre prestation de services de la société de l’information ou au droit dérivé de l’Union européenne. Dans cette hypothèse, la Commission et les autres Etats membres doivent émettre un avis circonstancié à l’Etat à l’origine de la notification.
La proposition de loi ne pourra donc être présentée au Sénat, au plus tôt, que le 21 novembre 2019.
En attendant que le texte soit présenté au Sénat, il est entre les mains de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République qui assure le dialogue avec la Commission européenne.
- Mesures prévues par la proposition de loi Avia
S’agissant du fond, cette proposition de loi contient de nombreuses mesures qui méritent d’être détaillées.
- Suppression des contenus haineux par les plateformes et les moteurs de recherche dans les 24 heures de leur notification.
La principale mesure de cette proposition de loi consiste à imposer aux plateformes un délai de 24h pour retirer les commentaires manifestement illicites, après notification par une ou plusieurs personnes. L’article 1er ter III précise que les éventuels signalements abusifs par les utilisateurs de plateforme seront eux, passibles d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Les publications concernées sont celles portant sur l’apologie des crimes contre l’humanité, provoquant à la commission d’actes de terrorisme, faisant l’apologie de tels actes ou comportant une incitation à la haine, à la violence, à la discrimination ou une injure envers une personne ou un groupe de personnes à raison de l’origine, d’une prétendue race, de la religion, de l’ethnie, de la nationalité, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou du handicap.
- Le contrôle des agissements des plateformes et des moteurs de recherche
Les plateformes privées et les moteurs de recherche visés par l’article premier de la proposition de loi ont déjà développé leur propre système d’automatisation de la modération des contenus.
De nombreux politiques et journalistes se sont inquiétés du rôle de censeur laissé à ces acteurs privés.
Une série d’amendements est ainsi venue apporter des précisions sur les modalités concrètes de traitement des notifications.
Ces amendements prévoient notamment que soient mis en place par les plateformes, des procédures, des moyens technologiques et des moyens humains appropriés, afin d’éviter tout retrait injustifié.
Un autre amendement impose en outre aux opérateurs de s’assurer qu’un contenu retiré ne soit pas, par la suite, rediffusé et devienne viral.
- Création d’un parquet numérique
La proposition de loi comprend un nouveau chapitre consacré au volet pénal, avec la création d’un parquet numérique et d’une juridiction spécialisée. Leur mise en place sera précisée par une circulaire et ce, dès l’adoption définitive de cette proposition de loi.
- Rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dans la lutte contre les contenus haineux en ligne
La proposition de loi prévoit également que le CSA s’assure du contrôle de la bonne exécution par les plateformes et les moteurs de recherche, de l’ensemble de leurs obligations issues de la proposition de loi. Il bénéficie également d’un pouvoir de sanction. En effet, l’article 4, II de la proposition dispose :
« En cas de manquement par un opérateur mentionné au premier alinéa du I de l’article 6-2 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 précitée au devoir de coopération dans la lutte contre les contenus haineux en ligne résultant de l’article 6-3 de la même loi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut engager une procédure de sanction ».
La proposition de loi prévoit à ce titre que le CSA, en premier lieu, mette en demeure l’opérateur de se conformer à ses obligations ou aux recommandations qu’il adopte, dans le délai qu’il fixe, puis, en l’absence de mise en conformité, il peut prononcer une sanction pécuniaire dont le montant prend en considération la gravité des manquements commis et, le cas échéant, leur caractère réitéré, sans pouvoir excéder 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent.