Certaines conditions d’organisation des compétitions eSport sont désormais encadrées par le décret n°2017-871 du 9 mai 2017 relatif à l’organisation des compétitions de jeux vidéo. Pour autant, des vides juridiques subsistent. Tel est le cas du contentieux de la responsabilité applicable en cas de dysfonctionnement dans le déroulement des compétitions eSport.
Ce qu’il faut retenir : Depuis la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, la compétition de jeux vidéo est définie comme la compétition « qui confronte, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire » (CSI,. art. L.321-8, al. 2).
Certaines des conditions d’organisation de ces compétitions sont désormais encadrées par le décret n°2017-871 du 9 mai 2017 relatif à l’organisation des compétitions de jeux vidéo.
Pour autant, des vides juridiques subsistent. Tel est le cas du contentieux de la responsabilité applicable en cas de dysfonctionnement dans le déroulement des compétitions eSport. En l’absence de régime légal en la matière, il convient de faire application du droit commun de la responsabilité civile, tout en tenant compte des dispositions contractuelles applicables à ce domaine particulier (règles imposées par les éditeurs de jeux, règlement de fonctionnement des compétitions, contrats de fourniture d’accès à internet, etc.).
Pour approfondir :
L’identification des dysfonctionnements
L’organisation de compétitions eSport suppose l’utilisation de différents outils numériques essentiels au bon déroulement de l’événement. Pour autant, ces outils, hardware ou software, peuvent connaître certains dysfonctionnements.
Tout d’abord, il peut s’agir de dysfonctionnements affectant directement le réseau sur lequel les joueurs sont connectés pour jouer, à savoir un réseau internet ou à défaut, un réseau local LAN-party. La permanence de la connexion au réseau est indispensable au processus de jeu durant les différentes parties et plus largement, pendant toute la durée de la compétition. Or, de nombreux incidents et problèmes techniques peuvent affecter cette connexion et conduire à une interruption temporaire, voire définitive, de la rencontre. Tel est le cas par exemple lors d’encombrement ou de panne de réseau, de virus informatique, de piratage ou d’intrusion malveillante, ou plus généralement de tout autre type de bug informatique.
Ensuite, il peut s’agir de dysfonctionnements atteignant plus spécifiquement les logiciels de jeux vidéo. Au même titre que la connexion au réseau, le logiciel de jeux vidéo est le support de la compétition eSport.
Enfin, il peut s’agir de dysfonctionnements affectant les périphériques informatiques et matériels de jeux vidéo. Chaque joueur doit en effet être équipé, afin de participer à la compétition, d’un matériel adéquat et de plusieurs périphériques, fournis par l’organisateur de la compétition ou qui lui sont personnels (consoles, manettes, ordinateurs, écrans, claviers, souris, pads, casques, autres accessoires divers, etc.). Or, il n’est pas rare que ces matériels et périphériques dysfonctionnent, empêchant les participants de poursuivre la compétition dans des conditions adaptées et leur causant nécessairement un préjudice.
L’identification des responsables
Après avoir déterminé l’origine du dysfonctionnement affectant le déroulé de la compétition, il convient d’identifier le responsable, qui peut être :
- l’organisateur de la compétition, tenu d’assurer la tenue et le bon déroulement de la compétition ;
- le fournisseur d’accès à internet (FAI), chargé d’assurer la permanence et la sécurité de la connexion au réseau ;
- l’éditeur de logiciel de jeux vidéo, tenu de fournir un logiciel adapté et exempt de dysfonctionnements ;
- les fabricants ou fournisseurs de matériel de jeux vidéo, chargés de transmettre des périphériques propres à leur utilisation dans le cadre d’une compétition eSport et exempts de vice.
L’identification des fondements de responsabilité
Afin d’obtenir indemnisation du préjudice subi du fait de ce dysfonctionnement, encore faut-il s’intéresser aux fondements de responsabilité envisageables.
La victime du dysfonctionnement peut être liée par un contrat avec le responsable. Tel est le cas du règlement de fonctionnement entre l’organisateur de la compétition et le joueur, du contrat de licence utilisateur final entre l’éditeur du logiciel et l’organisateur de la compétition, du contrat de fourniture de réseau internet entre le FAI et l’organisateur de la compétition, etc. Lorsqu’un contrat a été conclu, la responsabilité contractuelle peut être engagée sur plusieurs fondements :
- L’inexécution de l’obligation de délivrance conforme (Code civil, art. 1604) ;
- La garantie des vices cachés (Code civil, art. 1641) ;
- Plus largement l’inexécution de toute autre obligation contractuelle (sécurité, fiabilité du réseau, etc.) (Code civil, art. 1231 et s.).
Lorsque les intéressés ne sont pas liés par un contrat, la responsabilité est délictuelle. Elle peut être engagée notamment sur le fondement du fait des choses (Code civil, art. 1242, al. 1). La responsabilité du fait des produits défectueux peut également s’appliquer dès lors que le produit en question n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre (Code civil, art. 1245-3), qu’un contrat ait été ou non conclu entre les intéressés (Code civil, art. 1245). Tel serait le cas en cas d’implosion d’un périphérique utilisé durant la partie de jeu (ordinateur, manette, écran, etc.) qui causerait un dommage à un ou plusieurs participants.
Les obstacles à l’engagement de la responsabilité civile
Engager la responsabilité de la personne à laquelle le dysfonctionnement est imputable peut toutefois se heurter à deux séries d’obstacles.
- Les clauses limitatives ou élusives de responsabilité
Lorsque la responsabilité est de nature contractuelle, il n’est pas rare que soit intégrée au contrat une clause limitative ou élusive de responsabilité. De nombreux règlements de fonctionnement de compétition eSport mentionnent des clauses de ce type. La responsabilité peut être écarté sous réserve que cette clause ne soit pas considérée comme abusive parce qu’elle est opposée à un joueur non-professionnel, consommateur au sens de l’article du Code de la consommation (Code de la consommation, art. R212-1, 6°), ou parce qu’elle s’insère dans un contrat d’adhésion (Code civil, art. 1171),
- La force majeure ou la cause étrangère présentant les caractéristiques de la force majeure
L’intéressé peut également s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’il parvient à démontrer que le dysfonctionnement est dû à un événement de force majeure, c’est-à-dire un événement extérieur, imprévisible et irrésistible (catastrophes naturelles, événements météorologiques imprévisibles, incendies, etc.)
Sur ce point, il convient cependant de rappeler que le FAI est soumis à une responsabilité de plein droit s’agissant de la bonne exécution des obligations résultant du contrat (LCEN, art. 15, I, al. 1), et ne peut s’en défaire qu’en prouvant la faute de l’acheteur, le fait imprévisible et insurmontable d’un tiers étranger à la fourniture de la prestation ou un cas de force majeure (LCEN, art. 15, I, al. 2). Son obligation étant de résultat, il ne peut se prévaloir d’une clause limitative ou élusive de responsabilité (Cass. civ. 1ère, 19 novembre 2009, n°08-21.645).
Ainsi, malgré l’absence de régime légal spécifique en la matière, l’étude des responsabilités encourues en cas de dysfonctionnement technique ne doit pas être négligée par les intéressés. Plus encore, ces problématiques doivent alerter les organisateurs de compétitions eSport ainsi que les participants et les amener, afin d’éviter toute difficulté et tout éventuel contentieux en cas de survenance d’un dysfonctionnement technique, à s’interroger sur la portée des contrats conclus et des règlements de fonctionnement applicables. Elles doivent également les conduire à anticiper, préalablement à l’organisation des compétitions, les solutions pouvant être trouvées.
A rapprocher : CSI,. art. L.321-8, al. 2 ; Code civil, art. 1604 ; Code civil, art. 1641 ; Code civil, art. 1231 et s ; Code civil, art. 1242 ; Code de la consommation, art. R212-1, 6° ; Code civil, art. 1171 ; LCEN, art. 15 ; Cass. civ. 1ère, 19 novembre 2009, n°08-21.645