Par Julie Gringore, Avocate Associée, Derby Avocats
La cession d’un brevet doit faire l’objet d’une attention particulière de la part du vendeur, mais a fortiori de la part de l’acheteur, dont l’exploitation du brevet ainsi acquis sera conditionnée par les clauses qu’il aura su négocier à cette occasion ; c’est pourquoi le présent article prend le parti de donner prioritairement un point de vue en faveur de l’acquéreur, selon conseils qui pourront toutefois également être utiles au cédant, en miroir, s’il souhaite rendre son offre de vente de brevet attractive.
Le cessionnaire devra ainsi notamment s’assurer de la régularité de toutes les conditions formelles à remplir (1), tout en envisageant scrupuleusement le périmètre de la cession projetée (2).
1. FORMALITES A VERIFIER
L’acquéreur doit, au cours des pourparlers, exiger tous justificatifs de la validité du brevet en cours (A), puis accomplir les différentes diligences nécessaires à l’opposabilité de la cession envisagée (B).
A. Validité
En premier lieu, il convient de s’assurer de la validité formelle du brevet lui-même, en se posant notamment les deux questions essentielles suivantes :
- Les annuités ont-elles régulièrement été réglées par le cédant auprès de l’INPI antérieurement à la cession ? En effet, à défaut c’est la déchéance du titre qui est encourue, en application de l’article L613-22 du Code de la propriété intellectuelle ;
- Le brevet a-t-il dûment été exploité au cours des trois dernières années ? A défaut tout tiers peut en solliciter une licence « obligatoire » qui pourrait alors s’imposer au nouveau propriétaire du brevet, en vertu de l’article L613-11 du Code de la propriété intellectuelle.
En second lieu concernant l’acte de cession, celui-ci doit obligatoirement faire l’objet d’un écrit requis ad validitatem en application de l’article L613-8 al. 4 du Code de la propriété intellectuelle (et ce même lorsqu’il est compris dans la cession plus générale d’un fonds de commerce, laquelle emporte transmission des brevets sauf clause contraire) ; il n’existe cependant, dans la rédaction de l’acte de cession du brevet, pas de clause « sacramentelle » particulière, une large place étant au contraire laissée à la liberté contractuelle des parties sur la forme (sous seing privé) comme sur le fond (absence de dispositions d’ordre public).
Un dernier point devra retenir l’attention de l’acheteur, à savoir l’objet social du cédant lorsqu’il s’agit d’une personne morale ; en effet les juges peuvent être amenés à vérifier que celui-ci permet bien la vente d’un brevet, ainsi que cela vient d’être le cas dans une affaire finalement tranchée en faveur de l’acquéreur (Cass. com. 14 fév. 2018, n° 15-24146).
B. Opposabilité
En application de l’article L613–9 du Code de la propriété intellectuelle, l’acte transmettant les droits attachés au brevet doit, pour être opposable aux tiers, faire l’objet d’une inscription au Registre national des brevets tenu par l’INPI ; une fois l’acte signé, l’acquéreur doit donc s’empresser de procéder à cette formalité, dès lors notamment que :
- Dans l’hypothèse d’un propriétaire indélicat qui aurait frauduleusement cédé successivement son brevet à plusieurs acquéreurs, sera prioritaire le premier d’entre eux qui en aura porté l’inscription au Registre national des brevets, fût-il le second à l’avoir acquis ;
- Dans l’hypothèse d’une procédure introduite contre un tiers contrefacteur du brevet, l’acheteur ne sera recevable en son action que pour la période postérieure à l’inscription de son acquisition au Registre national des brevets.
De manière pratique, il convient également de signaler que :
- L’inscription peut désormais être régularisée sur présentation d’une simple copie de l’acte de cession, et non plus nécessairement d’un original comme cela était exigé jusqu’au Décret n° 2004-199 du 25 février 2004 ;
- A la demande des parties certaines clauses de l’acte, et notamment ses modalités financières, peuvent demeurer confidentielles en étant supprimées par l’INPI dans la version publiée au Registre national des brevets.
Précisons enfin que lorsque la cession porte non pas sur le brevet lui-même mais en amont sur sa simple demande d’enregistrement (ce qui est permis par l’article L613-8 du Code de la propriété intellectuelle), et que le titre envisagé est un brevet européen désignant la France, alors une double publicité est requise à la fois au Registre national des brevets et au Registre européen des brevets.
2. PÉRIMÈTRE A ENVISAGER
Il convient dans un premier temps de s’accorder sur l’étendue de la propriété ainsi cédée (A), puis d’en prévoir les effets (B).
A. Propriété
En premier lieu, le transfert de propriété peut être total ou partiel (article L613-8 du Code de la propriété intellectuelle) en fonction de la volonté des parties et selon les critères suivants notamment :
- Critère territorial : la cession peut être définie sur une zone géographique limitée, ce qui n’est toutefois pas nécessairement conseillé pour l’acheteur dès lors qu’il en résulte un régime de copropriété qui peut compliquer la gestion de l’exploitation du brevet, ainsi acquis de manière démembrée ;
- Critère matériel : la cession peut également être limitée à certaines revendications du brevet et/ou à certains de ses produits, mais le régime de copropriété qui en résulte peut également être déconseillé pour les mêmes raisons de difficultés de gestion que celles afférentes au démembrement géographique susvisé ;
- Critère temporel : théoriquement rien n’empêche que la durée de la cession soit inférieure à celle restant au brevet, mais en pratique un contrat de licence pourra en ce cas être préféré, puisqu’au final le cédant retrouverait alors sa propriété initiale, de même qu’il la conserve au cours puis à l’issue d’une licence.
En second lieu doit être envisagée la principale contrepartie de ce transfert de propriété, à savoir son prix, dont la fixation peut être forfaitaire ou proportionnelle selon les cas ; ainsi :
- Le prix peut être forfaitaire notamment lorsque le brevet a d’ores et déjà antérieurement été exploité, ce qui fournit en effet des éléments de valorisation au jour de la cession ; cela n’empêche en outre pas de négocier un paiement échelonné (et indexé le cas échéant) si l’on souhaite éviter un apport financier immédiat trop important ;
- Le prix peut également être proportionnel au chiffre d’affaires que réalisera le cédant, afin d’en permettre une meilleure adéquation, notamment pour un brevet qui viendrait d’être déposé et pour lequel les parties ne disposeraient donc pas réellement de références de valorisation ; cependant mieux vaut sans doute en ce cas privilégier la conclusion d’une licence dont les conditions se rapprochent plus de ce type de relation contractuelle, dans laquelle l’exploitant rend, par définition aux fins de redevances, des comptes au titulaire du brevet (ce qui est juridiquement plus difficile à justifier dans le cadre d’une cession).
B. Effets
Tout d’abord l’effet translatif de propriété porte, sauf clause contraire, sur « tout le brevet mais rien que le brevet », ce qui signifie non seulement que la limitation d’une cession partielle doit être expressément précisée comme indiqué ci-avant d’une part, mais également que la cession des « extensions » doit être contractuellement prévue si l’acheteur veut s’assurer de leur acquisition d’autre part ; il en va ainsi notamment :
- Du droit de priorité unioniste – lequel permet de déposer la même demande de brevet dans un autre pays membre dans un délai d’un an,
- Des perfectionnements antérieurement apportés au brevet, dont le vendeur devra au moins informer l’acquéreur,
- Du savoir-faire entourant l’invention
- lequel peut même faire l’objet d’une cession distincte.
Précisons également qu’en ce qui concerne le droit d’agir en contrefaçon à l’encontre d’un tiers, chronologiquement le vendeur conserve le droit d’introduire une action pour des faits qui se seraient déroulés antérieurement à la cession, et l’acheteur acquiert celui portant sur les faits postérieurs ; une clause contraire est toutefois parfaitement possible, afin de prévoir notamment que l’acheteur acquière le droit d’agir à l’encontre de tous faits contrefaisant, antérieurs comme postérieurs à la cession, ainsi que cela a encore récemment été rappelé par la jurisprudence (CA Paris 10 mars 2017, n° 15/01226).
Enfin ce transfert de propriété implique des garanties de la part du vendeur, dont il est au demeurant difficile de réduire la portée sans remettre en cause l’objet même de la cession du brevet ; en effet :
- Réduire la garantie d’éviction, notamment du fait personnel du vendeur, reviendrait à lui permettre d’exploiter lui-même tout ou partie du brevet cédé et à s’en rendre de la sorte contrefacteur, ce qui est difficilement concevable,
- Réduire la garantie des vices pouvant affecter le brevet cédé, notamment sur le plan juridique, reviendrait à en accepter d’emblée la nullité potentielle, ce qui ne pourrait être admis que par la stipulation claire d’une acquisition « aux risques et périls » du cessionnaire, qui n’achèterait alors que l’espoir d’un brevet valable et non plus le brevet lui-même.
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Par ailleurs un autre facteur peut être décisif dans le choix de la régularisation d’une cession de brevet, à savoir son aspect fiscal, qui à ce jour demeure plutôt favorable en ce qu’elle bénéficie du taux réduit sur les plus-values à long terme (soit 15 % pour les entreprises passibles de l’impôt sur les sociétés et 12,8 % pour les entreprises relevant de l’impôt sur le revenu) ; il convient toutefois d’en profiter assez rapidement dès lors que le nouveau dispositif prévu par le projet de Loi de finances 2019, visant à mettre la France en conformité avec les règles européennes, prévoit de ne maintenir ce taux que sous réserve de stricts justificatifs d’innovations entièrement développées en France.
Profitons-en enfin pour souligner, au titre des actualisations à surveiller également, la naissance du nouveau brevet unitaire européen dont les premiers titres devraient pouvoir être délivrés au premier semestre 2019, et engendrer ainsi de nouvelles transactions dont les cessions seront encore à adapter sur la base du régime actuellement applicable.
Source : Le Journal du Management juridique et réglementaire – Novembre 2018