CA Paris, 13 juin 2017, n°15/10847
L’usage non autorisé d’une photographie protégée par le droit d’auteur est un usage contrefaisant qui donne lieu à la condamnation du contrefacteur, de surcroît lorsque ladite photographie est modifiée et détournée.
Ce qu’il faut retenir : L’usage non autorisé d’une photographie protégée par le droit d’auteur est un usage contrefaisant qui donne lieu à la condamnation du contrefacteur, de surcroît lorsque ladite photographie est modifiée et détournée.
Pour approfondir : L’affaire opposait un photographe et la société à qui il avait cédé ses droits patrimoniaux à une société ayant pour activité la vente de cigarettes électroniques, par suite de l’utilisation non autorisée d’une photographie. Celle-ci avait en effet été utilisée sur une affiche apposée sur la devanture de plusieurs boutiques ainsi que sur internet en particulier des pages Facebook. Cette photographie, représentant Jimi Hendrix, avait de surcroît été modifiée pour substituer une cigarette électronique à la cigarette tenue par le chanteur. Le débat s’était en premier lieu placé sur la question de l’originalité de la photographie, condition de la protection par le droit d’auteur. Le Tribunal avait d’ailleurs commis une erreur de droit, en y voyant une question de recevabilité, alors qu’il s’agit d’une question de bien-fondé. En l’espèce, après avoir rappelé « Qu’il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits de l’auteur de caractériser l’originalité de l’œuvre revendiquée, c’est à dire de justifier de ce que cette œuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur », la Cour va conclure que la photographie bénéficie effectivement de la protection au titre d’auteur compte tenu de son originalité.
A cette fin, les juges se fondent sur les éléments suivants : le photographe a organisé la séance au cours de laquelle la photographie dont s’agit a été prise, il a guidé et dirigé Jimi Hendrix lors de la prise de vue (lui a demandé de prendre la pose reproduite sur la photographie en cause), il a choisi de prendre la photographie en noir et blanc afin de donner plus de contenance à son sujet et donner de lui l’image d’un musicien sérieux, le photographe a opté pour un appareil photo Hasselblad 500c avec un objectif Distagon 50 mm afin d’apporter une touche de grand angle au portrait sans créer de distorsion, il a choisi le décor, l’éclairage, l’angle de vue et le cadrage. De surcroît, il est un photographe reconnu au plan international, notamment pour avoir été le photographe des Rolling Stones, dont les photographies jouissent d’une forte notoriété, tous ces éléments établissent que la photographie en cause est le résultat de choix libres et créatifs opérés par le photographe traduisant l’expression de sa personnalité.
La Cour va donc entrer en voie de condamnation pour contrefaçon et viser l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle qui prescrit les règles d’évaluation du préjudice : « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2° Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits. Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »
Pour évaluer le montant du préjudice et donc de l’indemnisation du fait des actes de contrefaçon, la Cour retient le manque à gagner du titulaire des droits patrimoniaux : à cet égard, les juges ont tenu compte de la notoriété de la photographie en cause, du prix de vente des tirages, de la large diffusion de la photographie litigieuse (vitrine, pages Facebook) et l’affaiblissement de la valeur économique du fait de sa banalisation. Le préjudice économique est évalué à 50.000 euros.
Concernant le préjudice moral de l’auteur (le photographe), les juges vont s’attacher en particulier à l’absence de mention de la qualité du photographe et la dénaturation de la photographie, et évaluer le préjudice moral à la somme de 25.000 euros.
Bien entendu, cette condamnation est assortie de mesures d’interdiction d’usage de la photographie.
A rapprocher : article L.112-1, article L.112-2-9° et article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle