Conseils pratiques
Dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, il y a souvent confusion entre cession d’une clientèle et cession d’un fichier clients. Pourtant ces deux termes ne sont pas synonymes (l’un vise la clientèle personnelle rattachée à un fonds de commerce et l’autre adopte une conception plus large et peut viser aussi bien la clientèle personnelle que des prospects ou encore une clientèle rattachée exclusivement au franchiseur).
Ce qu’il faut retenir :
Dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, il y a souvent confusion entre cession d’une clientèle et cession d’un fichier clients. Pourtant ces deux termes ne sont pas synonymes (l’un vise la clientèle personnelle rattachée à un fonds de commerce et l’autre adopte une conception plus large et peut viser aussi bien la clientèle personnelle que des prospects ou encore une clientèle rattachée exclusivement au franchiseur).
En tout état de cause, lorsque concomitamment à la cession d’un fonds de commerce un fichier est transmis, dès lors que celui-ci est constitué de données à caractère personnel, cette transmission ne peut se réaliser que sous réserve du respect de la règlementation applicable en matière de protection des données personnelles et plus particulièrement du RGPD.
Pour approfondir :
Lors de la cession d’un fonds de commerce, se pose la question relative aux conditions de transmission et d’exploitation du fichier clients.
Si la cession d’un fonds de commerce suppose la cession de la clientèle attachée au fond, rendre synonymes « clientèle » et « fichier clients » est un raccourci trop rapide.
D’ailleurs, puisque l’existence d’un fonds de commerce suggère nécessairement l’existence d’une clientèle, la confusion de ces deux notions laisserait penser que la formalisation d’un fichier clients est une obligation faute de quoi le fonds n’existerait pas.
En tout état de cause, toute transmission d’un fichier clients dans le cadre d’une cession de fonds de commerce doit être réalisée dans le strict respect de la réglementation applicable en matière de protection des données personnelles.
I. « Clientèle » et « fichier clients »
La « clientèle » n’a pas de définition juridique et les contours de cette notion restent floues ce qui, d’ailleurs, a donné lieu à une abondante jurisprudence sur le sujet.
Des critères jurisprudentiels ont alors été dégagés : la clientèle d’un fonds de commerce suppose que celle-ci soit :
- Commerciale (autrement dit provenir d’une activité commerciale) ;
- Réelle et certaine (en principe la clientèle doit être actuelle et ne devrait, sauf cas particulier, préexister au fonds, elle doit également présenter un caractère stable) ;
- Propre (autrement dit, elle doit regrouper les clients qui se fournissent auprès du commerçant car ils sont attirés par le fonds de commerce en fonction des qualités personnelles du commerçant qui exploite son fonds à risques et périls).
Par ailleurs, sur un plan comptable, la clientèle est une des principales composantes du poste « fonds commercial » et semble davantage désigner un potentiel assuré et valorisable de chiffre d’affaires que la formalisation d’une liste nominative.
A ce titre, n’entreraient donc pas dans la définition de la clientèle :
- Les prospects ;
- Les clients du réseau qui n’auraient réalisé aucun acte d’achat auprès du franchisé. A titre d’illustration, nous pouvons mentionner les clients qui réaliseraient une commande en ligne sur le site du franchiseur et qui sélectionneraient, via l’interface en ligne, le magasin auprès duquel ils souhaitent retirer leur commande ;
- De même les clients préexistants à la naissance du fonds de commerce et affectés à un franchisé suite à la création de son fonds car ils relèveraient de sa zone d’exclusivité ne devraient, en principe, pas relever de la définition de la clientèle.
Un « fichier clients » n’a quant à lui aucune définition ni légale ni jurisprudentielle et n’a au surplus, aucune existence comptable en tant que tel.
Dans un réseau de franchise, il existe une multitude de fichiers clients, lesquels peuvent appartenir au franchisé et/ou au franchiseur sans que cela ne puisse remettre en cause la propriété de la clientèle.
Il y a d’abord les fichiers concernant les clients et prospects des points de vente du réseau constitués par les franchisés et, le cas échéant, les succursales du franchiseur.
Il y a ensuite les fichiers constitués à partir des outils digitaux mis en place par le franchiseur comme par exemple les sites internet et applications mobiles ainsi que les fichiers constitués à partir d’opérations mises en œuvre sous la maitrise du franchiseur comme par exemple des programmes de fidélité.
Enfin et en pratique, tous ces fichiers sont régulièrement centralisés dans un fichier unique tenu et structuré par le franchiseur notamment pour assister ses franchisés, en charge des opérations locales, et promouvoir son réseau à l’échelle nationale.
Si l’on s’intéresse au fichier clients rattaché à un point de vente, celui-ci est composé de plusieurs éléments.
S’il vise généralement des éléments permettant l’identification des personnes constituant la clientèle attachée au point de vente, le fichier a une conception plus large puisqu’il peut, dans certains cas et dans une certaine mesure, intégrer également des éléments permettant d’identifier des clients en partie rattachés au franchiseur et surtout des prospects.
En conséquence, « clientèle » et « fichier clients » ne se confondent pas et font référence à deux notions de nature différentes, qui peuvent être complémentaires. Dans un cas, la notion de « clientèle » renvoie à un élément constitutif du fonds de commerce, dans l’autre cas, la notion de « fichier clients » ne fait pas partie des éléments constitutifs du fonds de commerce et ne représente rien d’autre qu’un document créé à la libre discrétion de son producteur regroupant des éléments brutes permettant d’identifier les membres de la clientèle et de manière générale toute personne ayant entretenu une interaction de quelque nature que ce soit avec le producteur du fichier.
Un fonds de commerce n’existe que lorsqu’une clientèle propre au fonds existe. Un fichier clients n’existe qu’en raison de la volonté de son producteur et conformément à ce qu’il décide d’y voir apparaitre (les types de données contenues dans le fichier, l’organisation des données au sein du fichier, etc.).
Ces deux notions, sans se contredire, sont régulièrement confondues au point où se pose fréquemment la question de la transmission du fichier clients dans le cadre de la cession d’un fonds de commerce par un franchiseur alors que cette transmission n’est nullement une obligation à moins que cédant et cessionnaire en aient convenu autrement dans les actes de cession.
II. Comment encadrer la transmission d’un fichier
En pratique, un fichier clients va tout de même être transmis dans le cadre d’une cession de fonds de commerce notamment en raison de sa présence dans le matériel cédé.
Toutefois, compte tenu du fait que le fichier contient des données à caractère personnel, la règlementation en matière de protection des données personnelles s’applique.
Tout d’abord, le fichier transmis devra avoir été constitué conformément à la règlementation.
En effet, les choses illicites étant hors commerce, tout manquement pouvant entrainer l’illicéité du fichier (il s’agit principalement des obligations de fonds prévues par le RGPD en matière d’information des personnes concernées, de recueil de consentement ou de justification d’une base légale au traitement des données, de formalités préalables et de respect des principes de finalité, proportionnalité et minimisation) conduirait à la nullité des actes. Par un arrêt du 25 juin 2013 (Cass. com., 25 juin 2013, n°12-17037), la Cour de cassation avait par exemple admis que la vente d’un fichier non déclaré à la CNIL devait être sanctionnée par la nullité en raison de l’illicéité de son objet au visa de l’article 1128 du Code civil et de l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978.
Ensuite, dans la mesure où la cession d’un fichier clients a pour conséquence de permettre à un nouveau responsable de traitement de traiter les données des personnes concernées, ces dernières devront :
- Être informées de la cession de leurs données et de l’identité du cessionnaire ;
- Consentir à la cession de leurs données (à moins qu’un intérêt légitime puisse se justifier, auquel cas, les personnes concernées disposent toujours de la faculté de s’opposer à la transmission de leurs données).
Si les contours de l’intérêt légitimes restent flous, le RGPD précise néanmoins que doivent être prise en compte « les attentes raisonnables des personnes concernées fondées sur leur relation avec le responsable du traitement ». Le considérant n°47 du RGPD précise également qu’un tel intérêt légitime pourrait, par exemple, se justifier lorsqu’il existe une relation pertinente et appropriée entre la personne concernée et le responsable de traitement.
A contrario, si les personnes concernées ne peuvent raisonnablement s’attendre au traitement ultérieur de leurs données, leurs intérêts et droits fondamentaux pourraient alors prévaloir sur l’intérêt du responsable du traitement.
Au cas particulier, il nous parait plus pertinent que la clientèle personnelle attachée à un fonds de commerce puisse raisonnablement s’attendre à ce que ses données soient traitées par l’exploitant du fonds puis par son cessionnaire contrairement à ce à quoi pourraient s’attendre des prospects et les clients du franchiseur.
Dès lors, pour lever ou tout du moins atténuer les risques de contestation de la part du cessionnaire et des clients, il nous semble approprié d’adopter une démarche prudente consistant, d’une part, à nettoyer le fichier clients pour n’y voir apparaitre que les coordonnées de la clientèle attachée au fonds et, d’autre part, à déterminer les modalités de communication des données de sorte que le cessionnaire soit au courant de l’information préalable des clients avant toute transmission des données et du fait que le fichier clients pourrait ne pas contenir l’ensemble des informations relatives à sa clientèle (cette dernière étant en droit de s’opposer à la cession de ses données).
En tout état de cause, même si le RGPD ne prévoit pas d’obligation de déterminer par écrit les conditions d’intervention de deux responsables de traitement lorsque ces derniers n’agissent pas en qualité de responsables conjoints, il nous semble néanmoins important de prévoir par écrit (et en dehors des actes de cession) les conditions et les délais attachés à la transmission des données ainsi que les engagements pris par chacune des parties afin notamment de s’assurer qu’une telle cession de fichier n’aura pas d’impact sur la réputation et l’image de marque du franchiseur (qu’il soit cessionnaire ou cédant).
A rapprocher : Règlement Général sur la Protection des Données Personnelles n°2016/679 du 27 avril 2016 ; Articles L.141-5 et suivants du Code de commerce