Les bots permettent de réaliser ce que l’humain ne peut pas faire : un grand nombre d’actions dans un temps très court voire de manière instantanée. Mais l’objectif poursuivi est parfois questionnable, ainsi qu’en témoigne l’utilisation des scalping bots. Pour les consommateurs qui souhaitent se procurer une console next-gen, leur utilisation est préjudiciable mais est-ce que l’utilisation de scalping bots est réellement répréhensible ?
Les consoles de jeux nouvelle génération sont sorties en novembre dernier, le 10 novembre pour la XBOX Series X et le 19 novembre pour PS5, pourtant elles sont aujourd’hui introuvables.
La pandémie n’y est pas complètement étrangère puisqu’elle a bousculé les cycles de production des constructeurs et les stocks sont donc plus réduits que prévu.
Mais cette explication ne suffit pas à justifier la pénurie.
Alors que ces consoles sont introuvables sur les sites marchands (spécialisés ou non), elles pullulent sur les sites de vente d’occasion comme Ebay ou Leboncoin à des prix exorbitants : 2 ou 3 fois le prix « normal » de vente de la console neuve.
Parmi ces annonces, il y a évidemment de fausses annonces. Internet regorge déjà d’histoires d’acheteurs ayant reçu juste le carton vide de la console, la console de la génération précédente ou même une brique, en lieu et place de l’objet convoité.
Mais il y a aussi des vrais produits achetés par des personnes physiques dans l’objectif de tirer un bénéfice de la rareté de ces produits et qui pratiquent donc, peut-être même sans le savoir à la manière de Monsieur Jourdain, ce qu’on appelle le scalping.
Le scalping est une pratique qui consiste à spéculer sur une grande demande et une offre limitée pour en tirer des bénéfices. Avant internet, le scalping se pratiquait déjà avec la revente des billets d’événements par des revendeurs privés qui se placent à l’extérieur de la salle où a lieu l’événement.
Avec internet, le scalping a pris plus d’ampleur et s’est diversifié : outre les billets événementiels, il s’est attaqué aux produits et services les plus recherchés, par exemple les baskets en édition limitée.
L’idée est toujours la même :
- Repérer un bien en nombre limité avec une forte demande ;
- L’acheter en masse pour multiplier les bénéfices ;
- Revendre à un prix plus élevé que le marché officiel qui est en rupture de stock.
C’est exactement ce qu’on observe avec les consoles de jeux nouvelle génération aujourd’hui.
Certains se font assister dans cette tâche par des machines qui leur permettent d’augmenter substantiellement leur rapidité d’exécution du processus d’achat : les scalping bots.
Voyons donc comment fonctionnent ces scalping bots (I) avant de s’intéresser à la menace qu’ils représentent (II) et à l’arsenal juridique à disposition (III).
I. Qu’est-ce que les scalping bots ?
Pour mieux comprendre cette pratique, il convient ainsi de comprendre comment fonctionnent ces bots (A) et de dresser un portrait-robot de leurs utilisateurs (B).
A. Fonctionnement des scalping bots
Les scalping bots sont des robots automatisés qui permettent de se placer au début d’une file d’attente et d’acheter les produits convoités quelques secondes seulement après leur mise en ligne.
Les scalping bots doivent ainsi gérer trois étapes dans le processus d’achat :
Les scalpers recherchent les dates de vente et de sortie des produits à l’avance pour être prêts au moment de la vente.
Lorsqu’une vente en ligne est sur le point de commencer, les scalping bots sont prêts pour réserver ou acheter des produits populaires dans les millisecondes qui suivent leur lancement. Les scalping bots sont de plus en plus sophistiqués et permettent d’imiter le comportement humain avec succès, ce qui les rend difficiles à détecter.
B. Portrait-robot de l’utilisateur des scalping bots
Il est assez vite apparu que sur internet, l’utilisation d’une machine pour acheter en masse des produits pouvait être très efficace et générer des revenus conséquents.
Dès 2001, un certain Ken Lowson utilisait un programme informatique pour acheter mais aussi revendre des tickets de manière quasi simultanée. Ce dernier a ensuite été accusé d’avoir piraté des sites de revente de billets comme Ticketmaster de 2001 à 2010 et d’avoir ainsi réalisé un bénéfice de plus de 25 millions de dollars dans la revente de tickets.
A travers l’exemple de M. Lowson, on voit que les personnes qui se cachent derrière les programmes de scalping cherchent à réaliser un bénéfice rapide en achetant des biens ou services en masse et donc les programmes informatiques sont parfaits pour ça.
Les scalpers aiment exercer leurs activités depuis de petits pays avec peu de pression règlementaire, comme les paradis fiscaux tels que l’Île de Man. Les scalpers utilisent des robots programmés par ordinateur parce qu’ils sont bon marché, faciles à utiliser et qu’ils fournissent un retour sur investissement bénéfique.
II. Quelles menaces représentent-ils ?
Les scalping bots représentent une menace et pas seulement pour les consommateurs (A), et il convient de voir les différents préjudices qu’ils entraînent (B).
A. La typologie des victimes
Evidemment, les consommateurs qui recherchent les biens ciblés par les scalpers figurent parmi les victimes du scalping.
Aujourd’hui, les produits comme la PS5 et la Xbox sont introuvables, sauf à débourser une somme bien supérieure au prix officiel, et par ailleurs sans les garanties qu’offrent les sites de e-commerce.
Mais en réalité, d’autres acteurs pâtissent également du scalping : les cibles des scalpers elles-mêmes, les sites de e-commerce, les sites de vente de billets en ligne ou encore les émetteurs de produits, donc en l’occurrence les constructeurs de consoles.
B. La typologie des préjudices subis
Le scalping entame l’image de marque des sites marchands et ce à plusieurs niveaux :
- L’indisponibilité des produits est frustrante pour les consommateurs qui peuvent voir là une mauvaise gestion de leurs stocks par le site ;
- Les consommateurs connaissant l’utilisation des scalping bots peuvent considérer que le site devrait avoir mis en place les sécurités nécessaires pour ne pas laisser ces pratiques perdurer ;
- Une indisponibilité temporaire de leur site internet provoquée par la connexion simultanée de centaines voire de milliers de scalping bots qui agit comme une attaque DDos (déni de service) et paralyse le site du commerçant, ce qui entraîne une certaine perte de crédibilité auprès des consommateurs sur la fiabilité des infrastructures techniques du commerçants ;
- Plus globalement, une perte de confiance dans les sites de e-commerce au profit des commerces physiques.
Les scalping bots peuvent également porter préjudice aux émetteurs des produits ou services vendus, c’est-à-dire pour la PS5 et la Xbox Series X : les constructeurs, Sony et Microsoft.
Leur image de marque est également affectée : on les accuse de ne pas avoir prévu les stocks suffisants ou encore de ne pas avoir su s’adapter aux impératifs liés à la pandémie.
Par ailleurs, la pénurie provoquée, ou tout du moins aggravée, par les scalping bots peut avoir des conséquences financières directes à court terme pour eux. S’agissant des consoles de jeux, il faut savoir que les constructeurs de consoles ne réalisent que peu de bénéfices par la vente des consoles au lancement, voire même ils réalisent des pertes.
Les bénéfices dégagés viennent plutôt de la vente des jeux de ces consoles.
Or, avec le scalping, avec utilisation ou non de bots d’ailleurs, le nombre de consoles réellement utilisées est bien inférieur au nombre de consoles vendues, étant donné que de nombreuses consoles sont aujourd’hui « en sommeil », en attente d’être vendues plus chères par des scalpers à des consommateurs.
Par conséquent, les bénéfices des constructeurs sont directement affectés par le scalping et donc les scalping bots.
III. Quel est l’arsenal juridique à disposition ?
A. Peu de règles spécifiques applicables
Comme toujours, le législateur est en retard par rapport à la technique, il existe aujourd’hui peu de textes qui encadrent cette pratique.
Au niveau international, on peut citer les Etats-Unis qui se sont dotés dès 2016 d’une loi pour interdire les scalping bots pour la revente des tickets : la Better Online Tickets Sales Act ou BOTS Act. Néanmoins, cette loi apparaît limitée aux seuls bots opérant dans le secteur de la billetterie.
Les Etats-Unis ont donc adopté la Stopping Grinch Bots Act of 2018 pour interdire le contournement (par exemple, via la technologie des robots) des mesures de sécurité ou du contrôle technologique d’un site web pour faire respecter les limites d’achat affichées ou pour gérer les stocks.
Le Royaume-Uni réfléchit également actuellement à une réglementation sur ce sujet, prenant en considération le cas des consoles next-gen.
Au niveau européen, il existe une directive qui traite du sujet des scalping bots dans la revente des tickets, sans pour autant les nommer : la directive 2019/2161 du 27 novembre 2019 qui concerne une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs.
On y retrouve deux références à la revente de bots :
- Le considérant 50 qui énonce que : « Il convient d’interdire aux professionnels de revendre aux consommateurs des billets d’entrée pour des manifestations culturelles et sportives qu’ils ont acquis en utilisant des logiciels robots (« bots ») leur permettant d’acheter une quantité de billets qui dépasse les limites techniques imposées par le vendeur principal ou de contourner tout autre moyen technique mis en place par ce dernier pour garantir l’accessibilité des billets à tous. » ;
- L’article 13 7 b) qui inclut à l’annexe I de la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales la pratique suivante : « Revendre des billets pour des manifestations à des consommateurs si le professionnel les a acquis en utilisant un moyen automatisé de contourner toute limite imposée au nombre de billets qu’une personne peut acheter ou toute autre règle applicable à l’achat de billets. ».
L’acquisition par un moyen automatisé pour contourner la limite désigne clairement les scalping bots. On voit donc que cette directive vise la pratique du scalping par utilisation des bots et l’assimile à une pratique commerciale déloyale.
Cependant, la portée du texte est limitée car elle ne concerne que le secteur de la vente des tickets. Cette réglementation n’est donc pas applicable aux pratiques actuelles concernant la vente des consoles next-gen.
Par ailleurs, le texte n’a pas encore été transposé en droit français. Le 3 décembre dernier, une loi a été promulguée pour autoriser le gouvernement à procéder par ordonnances pour la transposition de cette directive 2019/2161. Le gouvernement dispose pour ce faire d’un délai de 14 mois.
Il existe donc encore peu de textes spécifiques au niveau mondial pour encadrer les scalping bots et pour le moment aucun en France. Il convient donc de voir les textes de droit commun susceptibles de s’appliquer.
B. Une qualification de droit commun envisageable : l’entrave aux STAD
Il s’agit ici d’envisager de rattacher la pratique des scalping bots à des pratiques déjà appréhendées par le droit positif.
Au niveau français, on pourrait se demander si l’utilisation de bots pour le scalping ne pourrait recevoir une qualification pénale conformément aux infractions réprimant les atteintes aux systèmes de traitement automatisées de données (ou STAD) créées par la loi Godfrain dès 1988 et codifiées dans le Code pénal.
Les infractions aux STAD sont de 3 types :
- Accéder frauduleusement à un STAD (323-1 du Code pénal) ;
- Entraver ou fausser le fonctionnement d’un STAD (323-2 du Code pénal) ;
- Introduire des données dans un STAD ou supprimer des données (323-3 du Code pénal).
Au regard de ces qualifications, on peut notamment s’interroger sur la possible qualification du bot scalping comme une entrave au fonctionnement d’un STAD qui est réprimé par l’article 323-2 du Code pénal.
On peut en effet considérer que les bots faussent le fonctionnement des sites marchands puisqu’ils se font passer pour plusieurs utilisateurs afin de se faire attribuer une certaine quantité de produits alors qu’en réalité il n’y a qu’un seul bénéficiaire.
Par ailleurs, on peut remarquer des similarités entre l’attaque par déni de service (ou DDos) et les scalping bots. L’attaque par déni de service est une technique de hacking consistant à saturer un serveur de fausses requêtes générées par des bots afin que le service ne soit plus disponible.
L’effet généré par les scalping bots est sensiblement identique : de nombreux sites internet se sont d’ailleurs trouvés hors service dès la mise en ligne de leurs stocks de console next-gen et les scalping bots, qui simulent de nombreuses connexions simultanées, n’y sont certainement pas complètement étrangers.
Or, l’article 323-2 du Code pénal est justement l’article qui incrimine l’attaque par déni de service. Cela a ainsi notamment été retenu par le Tribunal de grande instance de Paris le 19 mai 2006.
Par conséquent, étant donné que les fonctionnements sont proches, il ne semble pas improbable que la qualification d’entrave au fonctionnement d’un STAD puisse être retenue contre un individu ayant recours à des scalping bots.
Par ailleurs, il faut également souligner que les personnes qui mettent à disposition les logiciels de scalping bots pourraient également être inquiétées conformément à l’article 323-3-1 du Code pénal.
Pourtant, aujourd’hui, les poursuites judiciaires sont pratiquement inexistantes contre les utilisateurs de scalping bots. Le scalping ne cesse dès lors de se développer. En effet, en 2020, on estime que le scalping est un secteur qui pèse près de 15 milliards de dollars.
Mais la lutte contre les scalping bots passe également par une participation certainement plus active des plateformes de e-commerce. Les sites marchands doivent mettre en place des moyens efficaces pour détecter et endiguer l’utilisation de scalping bots. Par exemple, certaines sociétés informatiques, comme DataDome, proposent des solutions pour détecter et bloquer plus efficacement les bots. Les sites marchands ont donc un rôle à jouer prépondérant dans la lutte contre les scalping bots. Il en va de leur intérêt et ce même avant qu’un texte spécifique les y oblige.
A rapprocher : Article 323-2 Code pénal